On se bat pour tout le monde

On se bat pour tout le monde

« Mais quelles sont vos revendications ? » C’est toujours la première chose que les médias et les personnes hostiles au mouvement nous crachent au visage. A travers cette question barbante, ils ne nous demandent pas comment on s’est retrouvés dans la rue mais comment on pourrait la quitter. Et c’est pour ça qu’on se retrouve dans l’embarras. On ne veut pas la quitter cette rue qu’on a prise, ces ronds-points qu’on a habillés, cette force collective qu’on a trouvée. Nous savons que notre situation ne pourra pas s’améliorer avec quelques miettes, ce qui rend les choses complètement ingérables pour tout pouvoir. En plus, on a ce formidable réflexe de refuser la représentation, qui fait qu’ils n’ont aucune tête à acheter ou à couper pour mettre à mal le mouvement. Ils nous disent : « Vous en demandez trop ». Face à cette accusation d’amateurisme politicien, on aurait pu simplement leur dire merde. Négocier tue et les politiciens sont nos fossoyeurs.

Qui veut perdre ?

Sauf qu’au sein du mouvement, tout le monde n’est pas de cet avis. Parce qu’on est peut-être pas tous dans la même situation de galère. Nous, travailleurs, chômeurs, retraités, nous vivons du salaire (y compris déguisé en chiffre d’affaire pour les auto-entrepreneurs) et des allocs. Ce salaire et ces allocs, on les obtient en vendant notre force de travail à un patron. Et c’est grâce à ça qu’il arrive à se faire de la thune, c’est grâce à ça que l’économie roule, sur notre dos. On peut comprendre les appels à l’unité au sein des gilets jaunes. Mais quand cette unité signifie marcher avec ceux qui nous exploitent au quotidien et avec leurs représentants politiques ce n’est plus de l’unité, c’est de la domestication. En réalité, nos intérêts sont irréconciliables et cela s’exprime aussi au niveau des revendications. Si réconciliation superficielle il y a en l’état, ça voudra simplement dire qu’on a perdu, qu’on est retourné au turbin et qu’eux ont gagné des passe-droits et des numerus clausus dans la concurrence économique mondiale en aggravant la situation de certains d’entre nous. C’est de cette fraction du mouvement dont provient la plupart des politiciens. Il n’y a qu’à voir les groupes comme les « Gilets Jaunes Libres » ou encore « La France en Colère ». Ce sont ces plateformes qui mettent régulièrement en avant les soi-disant revendications officielles où pullulent les tentatives de lobbying des partis politiques traditionnels.

42 revendications pour un retour à l’ordre

Evoquons la première liste de revendications des Gilets Jaunes : c’est un tableau d’art abstrait, un patchwork d’intérêts. On y demande de tout, de la retraite à 60 ans à l’augmentation des moyens pour la police en passant par la favorisation du petit commerce. Et un smic à 1300 euros et des emplois pour les chômeurs, les grands seigneurs !

Mais, cette liste, c’est aussi l’expression limpide d’une tendance nationaliste, avec quatre mesures contre les étrangers, à mille lieues de nos problèmes et à dix mille de leur solution. Faut être borné pour croire que les problèmes en France viennent d’ailleurs. Qu’une sortie de l’Europe nous permettrait de vivre bien ou que la chasse aux sans-papiers fera monter notre salaire. C’est d’ailleurs précisément l’inverse qui se passerait. On nous dit : il faut fermer les frontières et ça ira mieux. Regardez aux Etats-Unis, au Brésil, en Hongrie, en Birmanie, en Israël : partout les différents pouvoirs essaient de mettre en avant la guerre entre pauvres pour éviter la guerre aux riches tandis que eux continuent sciemment leur guerre contre nous. Les fachos veulent juste se faire une plus grande place à la table des exploiteurs en faisant du Trump. Et nous n’avons absolument aucune raison de les y aider.

En réalité, cette liste de revendication, tout le monde s’en fout. Il n’y a que les politiciens pour espérer en tirer quelque chose et bien sûr, les médias et le gouvernement, qui ne manqueront pas l’occasion de nous faire passer pour des nervis d’extrême droite. Mais, comme quand on appelle quelqu’un par un prénom qui n’est pas le sien, nous n’avons pas prêter attention.

Ricupération

Certains politicards sont partis, notamment de l’extrême droite traditionnelle comme Marine Le Pen, mais une autre initiative, plébiscitée par de nombreuses organisations politique de l’extrême gauche à l’extrême droite, allait bientôt nous donner du fil à retordre : le RIC au nom du peuple et de la démocratie. Comme dit plus haut, notre système politique repose sur une illusion, celle de l’absence d’inégalité sociale et économique. On nous parle de nations, de citoyens libres et égaux en droits dans un monde où la seule règle qui tient vraiment, c’est bien celle de l’exploitation d’une classe par une autre. C’est la propagande bourgeoise qui nous fait croire qu’avant d’être des prolos, nous sommes des citoyens, que la vie des idées précèdent celle des conditions matérielles. Pourtant, la République ne remplit pas le frigo. C’est sur cette illusion que le RIC a surfé. Il faut avouer qu’à première vue, la proposition était séduisante. On nous disait qu’avec ça, on allait enfin pouvoir être entendus directement, qu’on pouvait reprendre le pouvoir sur notre vie. C’est nous qui déciderions de tout. Et sans lutter en plus, sans risquer sa vie sur les ronds-points et dans les manifs, juste en votant, sur son ordi dans son salon, les pantoufles au coin du feu qui crépite ! Mais dans le commerce, quand on a un produit à vendre, on ment : « Oui, une fois qu’on a le RIC, on peut tout faire passer ! ». C’est faux. Déjà, quel comble de demander l’avis aux bourges pour savoir s’ils sont d’accord pour nous augmenter ! Un vote qui irait contre l’intérêt des capitalistes, par exemple l’augmentation du SMIC/horaire, serait retoqué purement et simplement. Il suffit de se rappeler du referendum de 2005. Et ça, c’est sans compter l’intense propagande qu’on subirait pour voter contre, seuls devant nos écrans.

Macron démission

Parce que c’est ça la force des gilets jaunes. C’est que nous ne sommes pas seuls. Nous sommes sortis de l’individualisme dans lequel l’ordre social nous enferme, notamment dans l’isoloir. La réalité, c’est qu’en deux mois de lutte, le pouvoir n’a jamais autant lâché sans qu’on lui demande rien. Et ses verres d’eau pour éteindre un incendie n’ont rien changé. Son débat national ressemble à une leçon de morale. Maintenant Macron fait le choix de jeter de l’huile. Nous sommes prêts.

Pour contrer le RIC, certains d’entre nous ont dit : pas besoin de RIC pour gagner, on veut la démission pure et simple de Macron. Cette revendication a la bonne idée de mettre à l’honneur notre action, de recentrer le débat sur notre force collective. En effet, c’est la rue qui fera partir Macron, pas les urnes. Mais, juste après avoir dit ça, tout le monde se pose la question : qui le remplacera ? C’est justement là où le bât blesse. Macron, aussi arrogant qu’il soit, est remplaçable et son successeur fera exactement la même chose pour défendre le profit. Il faut clairement jeter le bébé avec l’eau du bain. Les institutions qui existent sont là pour défendre la logique de l’argent et de l’exploitation.

Vers l’infini et au-delà

Pour continuer, nous devons renforcer le mouvement, l’étendre selon nos principes de solidarité et l’approfondir, pour que notre logique commune, celle du refus des conditions de vie actuelles, vienne réellement bouleverser ce monde. Il n’y a pas besoin d’avoir un plan pour ça. C’est souvent au feeling que les premières mesures sont prises, comme on l’a démontré ces deux derniers mois. Nous devrons assumer la conflictualité avec tout ce qui nous fait obstacle. Le travail nous empêche de lutter, on y répond par la grève. La répression essaie de nous terroriser, nous nous organisons pour qu’aucun de nous ne tombe entre leurs griffes. La thune commence à manquer, on met en place des réseaux solidaires avec des producteurs agricoles. On arrive plus à payer le loyer et les factures, on ne les paie plus. On nous coupe l’électricité, des GJ qui taffent à EDF la remettent. On a faim, on va prendre la marchandise dans les magasins et on organise de grandes distributions gratuites pour tout le monde. Ce sont des exemples parmi tant d’autres mais ils tendent tous vers un unique but : faire de notre mouvement un point de ralliement auquel tout un chacun peut s’accrocher pour y trouver de la force, de l’entraide et des moyens de vivre malgré la crise, donc aux antipodes de nos quotidiens de galère. Les gilets jaunes bouleverseront ce monde. Ce bouleversement, personne n’est en mesure de l’anticiper. C’est ce qu’on appelle une Révolution.