Le 17 novembre, les gilets jaunes ont fait irruption sur la scène publique. Nous étions partout, depuis les ronds points jusqu’à Touche Pas à Mon Poste. Cela faisait un moment que le feu couvait sous la cendre et le réveil est à la hauteur. C’était l’heure de la fin de la résignation. Depuis, trois mois ont passé : Une saison des gilets jaunes s’achève.
Quel réveil ! De l’immense manifestation sous forme de STOP, accolé au ronds points des quatre coins de l’hexagone, a jailli à la fois une agitation permanente de la semaine, sous forme d’occupation, de blocage total ou filtrant, de klaxons et de gilets sur le tableau de bord, mais aussi des démonstrations de colère qui ont fait trembler le pouvoir. Aux incendies de préfecture, assauts sur les champs Élysée, barricades qui couvrent les rues de nos villes, ont répondu les glapissements d’un pouvoir aux abois, qui soudain pris conscience de l’ampleur d’une révolte trop longtemps contenue. Tout cela dans la fenêtre étroite d’un mois de décembre qui se rêvait juillet, voulait faire tomber le monarque et advienne que pourra.
Mais le temps est une drôle de bestiole, qui rattrape les sprinters à la course dés qu’ils se retournent. Et à peine étions nous rassurés d’avoir tenu les fêtes, que nous étions embarqués dans le huitième round d’un combat de boxe aux allures de jeu de massacres. C’est que round après round l’adversaire frappe fort, a l’arbitre de son côté, lâche ses coups, nous fatigue. Et le public s’il soutient, n’en est pas encore à intervenir et monter sur le ring. Les milliers de gardés à vue, les centaines de prisonniers sont autant de forces vives que le pouvoir nous aspire. Paris, qui a concentré un temps une masse immense et distrait énormément de forces de l’ordre, n’a pu suivre la surenchère violente d’une police qu’on disait prête au meurtre, d’un pouvoir qui menace, mutile, et emprisonne samedi après samedi les manifestants.
Alors, une fois passé la frayeur d’une insurrection qui forçait l’Etat à se défendre et à fixer sur Paris, centralisation oblige, une part critique des policiers disponibles, la répression a pu frapper plus fort ailleurs. Le pouvoir a pu nous encercler à son tour, lui qui hier encore claquait des dents. Et l’empire a contre attaqué, à commencer par nos bases, les ronds points. Oh, bien sûr, nous avons répondu et nous avons marqué des points. A chaque offensive de leur part nous nous sommes débattus, au prix d’un engagement du quotidien. Et cet engagement a fini par produire une coupure, entre la semaine et le samedi. Au fur et à mesure que nous répondions à l’offensive contre les ronds points par la structuration, le mouvement a pris un mauvais pli, hélas difficilement évitable : il est en partie sorti de l’espace public ou plutôt, il en a été chassé. Par la police, bien aidée d’une vague de froid dont nous nous souvenons tous. Mais les résultats nous les connaissons : semaine et samedi se sont éloignés.
La grève générale est alors apparue pour certains, comme le moyen de retrouver de la force, en transformant chaque jour en samedi. Mais nous avons eu le malheur d’espérer. Or l’espoir est notre ennemi. Il signifie s’en remettre à l’attente. Depuis le début de ce mouvement, nous étions sortis de l’attente pour entrer dans l’action. A la veille de la fin de la première saison des gilets jaunes, nous sommes retombés dans l’attente, d’une prochaine date, du retour de la force.
Et malgré tout ce que nous savions sur l’état de faiblesse du syndicalisme en France, chacun a cru que bien informés en connaissance des enjeux, tous les autres pourraient croiser les bras, dans une grande grève générale portée par les syndicats.
Patatra.
Nous en étions là, le 6 février. Quand nous avons compris que cette grève n’était pas à la hauteur des attentes. Que le combat ne fait que commencer. Mais déjà, un nouveau round s’annonce et nous sommes debout. Les leçons de chaque phase de combat, nous les assimilons dans notre chair. La grève qui marche ne provient pas d’une décision d’en haut. Elle sera toutes celles que nous lancerons à la base, qui se rejoindront comme les sources d’un torrent.
Pour l’heure, armons nous de détermination. Nous avons tant à faire ! A commencer par faire vivre au quotidien la solidarité née sur les ronds points. Bientôt, la rupture de trêve hivernale enverra à la rue des milliers de personnes. Les prix continuent de monter. Les huissiers guettent les plus pauvres d’entre nous. Les chômeurs font l’objet d’une vaste offensive. Ne laissons rien passer.
La victoire nous attend, elle observe le combat, sans baisser les yeux devant les regards de haines que lui jettent les possédants. Elle tient l’avenir serrée dans ses mains fines.