Lyon : un récit critique des AG-Usine à gaz

Des camarades nous ont fait parvenir ce petit récit critique concernant les AG Gilets Jaunes de Lyon qui parlera certainement à pas mal de gens. Son avantage, c’est d’expliciter tous les moments où les politicards, en herbe ou en pierre, font de cet espace commun d’organisation une simple caisse de résonnance de leur stratégie politicienne. Et c’est précisément contre ça qu’on doit se battre !

Le blog de Temps Critiques réalise un suivi très précis du mouvement dans la région lyonnaise. Vous pouvez les lire ici : http://blog.tempscritiques.net/archives/2231#more-2231

Compte rendu de l’AG Gilets jaunes de Lyon le 7 janvier à 19 h (Bourse du travail)

Nous sommes très nombreux et la jauge de 300 personnes de la salle s’avère vite trop petite.

Environ 150 personnes ne peuvent pas entrer. Celles-ci insistent lourdement pour que l’AG se déroule sur la place.

Les organisateurs de la coordination proposent de descendre sur la sorte d’agora que forme la place Guichard, agora ayant déjà servi de point fixe dans le mouvement des places pendant Nuit debout. Malheureusement ce nombre élevé sera la seule vraie bonne nouvelle de la soirée. En effet, très rapidement des apprentis bureaucrates vont imposer leurs méthodes : tout d’abord un comptage digne de maîtres d’école à l’ancienne, tout cela sûrement pour faire pièce à l’idée transmise par le gouvernement et les médias que le mouvement est en recul et donc qu’il nous faut nos propres chiffres comme contre-information (pourtant Le Progrès annonce ce matin plus de 500 personnes, donc cela correspond à notre propre comptage et ça nous aurait fait gagner du temps) ; ensuite nous répartir (diviser ?) en 6 commissions du fait qu’on ne peut discuter en si grand nombre (à noter que c’est aussi ce qu’imposent comme mode d’AG les chefs d’établissement scolaire quand ils veulent faire avaler la soupe de la énième réforme aux enseignants).

Ces groupes sont invités à discuter de choix qui semblent avoir été décidés/proposés par celles et ceux qui ont préparé l’AG avant que celle-ci ne commence. Ainsi sur la partie « actions » les GO proposent d’aller en délégation à la Préfecture, le vendredi, et pour le samedi 12 de manifester le matin en « hommage aux morts » à Gerland. Pour les organisateurs, les choses sont calées et les participants sont invités par ex, pour la Préfecture à agir en allant soutenir la délégation ! On retrouve d’une part encore et toujours les sempiternelles tartinades de représentation citoyenne et de pleurnichage contre les violences policières et d’autre part l’autoritarisme citoyen qui décide et transforme les manifestants et l’AG en matériel humain chargé de faire masse pour leurs activités politiciennes.

On peut donc se poser la question de la nature technique ou politique de la méthode. Mais passons, à 19 h 30 on a encore un peu de bonne volonté.

Quoi qu’il en soit, la méthode ne brille pas par sa fluidité puisqu’il faut que chaque groupe rejoigne un « administrateur » de la coordination qui animera la discussion ou distribuera les temps de paroles « maîtres du temps » disent-ils, ce qui montre incidemment leur recrutement social et ce qu’ils regardent sur leurs écrans. Comme c’était prévisible aussi, les groupes sont de taille disproportionnée, les groupes actions et revendications totalisant quasiment les deux tiers des participants.

Nous prendrons les exemples des groupes où nous étions :

  • Dans le groupe « organisation » nous sommes une vingtaine et la discussion est assez fructueuse, même si les positions varient entre ceux qui sont contre toute délégation et plutôt pour rester en réseaux de connaissance sur les ronds-points ou/et Face book et ceux qui pensent qu’il faut faire masse, dans les manifestations et des assemblées, une coordination nationale, des délégués mandatés et révocables. La position la plus proche des débuts du mouvement semble celle d’un protagoniste du blocage du péage de TEO qui est le seul et dernier point de fixation, type rond-point sur la région. Il pense que tout doit partir de ces lieux fixes, mais sa position est fragilisée par le fait que ces points de fixation sont en net recul. Si on veut résumer les deux tendances principales qui se font jour, on trouve une opposition entre celle qui pense que la dissémination est un atout parce qu’on est partout et celle qui pense qu’il faut maintenant coordonner centralement parce qu’autrement on est nulle part. Le problème, c’est que derrière ce qui apparaît comme une opposition de stratégie se cache aussi une différence de situation objective, la première position étant tenue par les gens de la périphérie, la seconde par les habitants de la grande ville.

La confusion courante entre les termes de « représentants » et « délégués » ne semblent pas poser problème. En tout cas nous n’avons pas le temps ou l’opportunité de l’aborder et pourtant elle a de l’importance puisque par exemple un porte-parole est un représentant et donc plus qu’un délégué. Il est donc a priori plus difficile de révoquer le premier que le second. Ceux qui se sont exprimés sont des personnes investies dans le mouvement depuis le début et qui semblent partir de leur vécu concret du mouvement. Mais nous sommes assez rapidement renvoyés à d’autres problématiques provenant, à notre sens d’un autre type de personnes : celle tout d’abord d’un alignement sur la coordination de Marseille ou sur celle de Toulouse, alors même qu’un participant fait remarquer qu’on a encore rien coordonné sur Lyon, alors penser au niveau national serait prématuré. Celle ensuite, complètement saugrenue de la constitution d’une liste Gilets-jaunes aux européennes qui fait réagir une participante qui dit que elle, son problème, c’est le 15 du mois pas les élections. Et enfin, une intervenante venant demander que ce soit une femme tirée au sort qui devienne représentante, le tout avec le plus grand sourire de celle qui est venue là en touriste genrée.

  • Groupe Actions pour le 12 janvier : il est composite : des gilets jaunes ou assimilés, des étudiants, peu de militants professionnels. Il y a un refus quasiment unanime de déclarer un parcours et d’aller s’enterrer le matin à Gerland (pas un chat et dangereux). Il est proposé : une manifestation matinale avec un rdv à 10 h sur l’esplanade de Fourvière, passer rue St Jean s’arrêter au Palais de justice, puis rejoindre la place Bellecour pour une manif (heure peu claire : 13 h-14 h) non déclarée. La question d’un service d’ordre est abordée.
  • Le groupe Actions pour le 19 janvier était assez réduit ce qui a facilité l’échange mais toujours pressé par le temps.

Une ligne de différenciation est apparue rapidement entre une position privilégiant le « faire masse » et son cortège unique avec la nécessité du dépôt du parcours en préfecture (option syndicale classique) et ceux qui tiraient le bilan des manifs actuelles pour en conserver la dimension spontanée, d’une « foule » qui, même si cela n’a pas été dit ainsi : déborde et impose sa manière d’aller de l’avant. Cette différence d’appréciation conduit à un moment à attribuer tout le problème des gazages aux « casseurs » dans une ville ou rien, ou presque, n’a été cassé depuis le début du mouvement, et donc à vouloir un contrôle de la manifestation, mais déterminer concrètement de quelle manière ? On en arrive à la formation d’un « groupe sérénité », novlangue de SO, mais en n’envisageant pas le problème immédiat qui se poserait à lui : comment organiser le cortège pour qu’il aille où l’on voudrait sur la presqu’île, par exemple, tout en faisant tampon face aux attaques des forces de l’ordre puisque ce sont elles qui attaquent.

C’est vrai les acquis en terme de manifestation du mouvement sont bien là et ont permis à cette commission d’avancer, mais il ne tient à pas grand-chose que se produise une reprise en main en forme de pacification des manifestations au nom d’un phantasme d’extension de la mobilisation (« il faut rassurer les familles ») qui n’a pourtant jamais vraiment rassemblé les familles.

Après vient le temps des rapporteurs à l’AG, mais on s’aperçoit tout à coup qu’on est nettement moins nombreux et qu’on est passé des Gilets jaunes qui soit se sont lassés ou simplement travaillent le lendemain, à une sorte de réplique des Nuits debout, ce qui va d’ailleurs se confirmer plus tard. Tout d’abord, le rapporteur de la commission organisation (on nous dira plus tard qu’il provient d’un obscur groupe stalino-maoïste et aussi qu’il avait déjà sévi pendant Nuit debout) se met à sur-interpréter volontairement ou à mésinterpréter (qui sait ?) ce que nous avons dit ce qui suscite notre indignation parce qu’en plus c’est la première commission qui propose un vote alors que les avis exprimés par les membres du groupe ont été transformés en des positions figées qui ne tiennent aucun compte de l’interaction dans la discussion et de la synthèse qui aurait pu en être faite. Elles sont toutes présentées comme ayant égale valeur (l’idéologie des Nuit debout et d’ailleurs du vote) et donc à la sortie, ce qui en ressort c’est évidemment qu’aucune n’a de valeur particulière, ce que finalement l’AG les avalise toutes, fatigue et froid aidant, en levant vaguement quelques doigts pour ou contre sans que la majorité, devenue d’ailleurs une minorité ne se prononce, parce que finalement on a glissé vers ce que le mouvement des Gilets jaunes a toujours évité jusque-là : la parlotte.

La caricature de tout cela apparaît dans le CR de la commission revendication qui, trop nombreuse s’est divisée en sous commissions qui ont établi un florilège de revendications au moins aussi abondant que celui des 42 propositions de départ des Gilets-jaunes, en prenant soin de gommer les quelques points trop droitiers pour les remplacer par leur idéologie de gauche. L’un des rapporteurs, dans sa juvénile naïveté gauchiste ira même jusqu’à crier publiquement « qu’on a réussi à faite passer nos valeurs de gauche », montrant par là qu’il ne comprend rien au mouvement et pas plus à sa propre manipulation considérée comme naturelle puisque tout est combat idéologique pour ce genre de militant. Et puis là, sur la fin, c’est la France Insoumise qui entre en action, une action facilitée par le fait que l’administrateur principal de la coordination en fait partie. Un catalogue de mesures, parfois contradictoires entre elles et toutes mises sur le même plan, de la plus petite à la plus grande ou globale (la VIéme République) est déversée sur une assemblée devenue amorphe. La pratique est courante et habituelle : la multiplication des revendications permet d’autant plus facilement de les faire passer toutes, par acclamation sans réflexion. Là encore la procédure est celle de Nuit debout et d’ailleurs les trentenaires qui squattent maintenant, ce qu’on ne peut pas appeler une tribune, mais au moins le micro, ont vraisemblablement fait leurs premières armes de magouille politicarde à cette occasion.

Quant aux rapports des commissions action, ils proposent quelques actions acceptables par tous pour les quinze jours à venir, mais montrent involontairement à quel point ce type d’AG est inutile.

Ainsi, la commission « actions pour le 12 janvier » a décidé pour le matin de ne pas partir de Gerland (voir les raisons données plus haut). Apparemment cela n’a pas plu à une des organisatrices auto-proclamée de l’AG qui intervient à la fin de celle-ci pour annoncer que cette action est maintenue car elle a déjà été préparée, que d’autres coordos d’autres départements ont prévu de venir et tutti quanti…

Bref, les « animateurs » ont prévu en amont des choses pour le mouvement et on est prié de s’y conformer, si cela ne marche pas on tente de passer en force.

Résultat des courses : la manif sera maintenue à côté des deux autres actions décidées pendant l’AG elle-même !

Une militante d’Alternatiba invita, aussi, les Gilets jaunes à rejoindre la prochaine manif pour le climat presque à contrecœur… Tant sa voix était peu enthousiaste à l’idée d’associer les Gilets jaunes à son mouvement, qu’on devinait, plus acceptable. D’ailleurs après avoir rappelé les règles et le déroulement de ladite manif sous une forme assez stricte, comme si le mouvement des GJ étaient inévitablement initiateur de violence et de désordre, elle termina en invitant ceux que cela intéresserait à consulter le site (sic) sans en dire plus. Comme si le combat des GJ était radicalement différent de celui d’Alternatiba alors qu’il est fort possible que l’un soit l’accélérateur de l’autre…

Parmi les actions à mener, l’inflexion est typiquement gauchiste avec l’insistance à lutter contre la pub et les lieux de consommation pendant que débutent les soldes. C’est symptomatique du retournement ; alors que le mouvement des Gilets jaunes, de par son action concrète de blocage des hypermarchés ou des voies d’accès, ou encore par ses manifestations qui faisaient fermer les magasins le samedi, avait engendré une baisse de la consommation et l’idée rendue matérielle qu’il y a mieux à faire que consommer quand on est plongé dans la lutte et la solidarité, voilà que nos gauchistes transforment tout ça en idéologie anti-consumériste d’avant-garde !

Dans le même ordre d’idée, de ce qui ne sera pas du tout discuté et malgré une lettre que nous avions déjà adressée à la coordination il y a une dizaine de jours1 (mais restée sans réponse) à propos de l’action contre l’agence de la banque Rothschild, une nouvelle action est programmée contre cette banque. Vu l’ambiance dégradée nous ne pouvons intervenir au micro, mais dans le coin de l’agora où nous sommes nous avons le plus grand mal à poser la question : pourquoi cette banque plutôt qu’une autre ? Et à faire comprendre que cette banque n’est pas le symbole du capitalisme en France et que, surtout, au diable les symboles, ce sont bel et bien le Crédit Agricole et la Société Générale les plus grandes spéculatrices de ces dernières années en France et qui plus est, contrairement aux banques d’affaires, jouent avec les sous de tout le monde (par les comptes courants) et se font renflouer par l’État via les impôts quand elles sont en semi-faillite (Too big to fail). Mais rien n’y fait ; à la limite le seul argument qui porte c’est que cela ouvre la voie à une dénonciation du mouvement pour antisémitisme. Ouf provisoire mais probablement sans lendemain puisqu’il ne s’engage pas véritablement de débat de fond sur la question.

G, J et J-P