Partout des débats ont lieu, parfois houleux, sur les suites du mouvement. On regarde ce qui a marché mais aussi ce qu’il nous manque. Et c’est bien, c’est la preuve que nous sommes un mouvement qui vit, qui veut avancer et non rentrer dans le rang comme l’espèrent les politiques, les médias et les patrons.
Nous aurions tort de faire la fine bouche. Le nez dans nos gilets, on a du mal à se souvenir de nos vies d’avant ce 17 novembre. 3 mois en jaune et l’impression qu’on l’a toujours été. Cette sensation nous rappelle une évidence qu’on avait fini par oublier tellement le capitalisme nous a atomisés, individualisés : nous partageons, nous l’immense majorité, une condition sociale commune.
Les Gilets Jaunes c’est toi, c’est moi, c’est l’Histoire !
« C’est jaune, c’est moche, ça ne va avec rien mais ça peut vous sauver la vie.» Rarement une pub n’a été aussi visionnaire. Quand on croise un autre gilet on se parle. Quand on tracte ou on bloque, on entend les klaxons d’approbation des travailleurs. La haine de Macron a joué un rôle de catalyseur, mais c’est bien davantage notre situation de galérien que nous avons reconnu en chacun d’entre nous. Bien sûr y a quelques bourges qui s’inventent une vie, quelques politiciens qui voudraient percer sur le dos de la lutte, quelques fachos qui cherchent à nous diviser et des idées politiques qui partent dans plusieurs directions, s’affrontent, se débattent. Mais cela est possible car nous parlons la même langue, celle que les bourgeois ne comprennent pas et préfèrent qualifier de beauf ou de sauvage.
Il y a des problèmes concrets que nous n’osons pas encore prendre à bras le corps et qui sont autant de perspectives pour la suite du mouvement, donc de nos vies. La question de la vie chère et de la baisse des salaires posent le cadre général d’une existence impossible dans ce système. Mais cette généralité cache tout un tas de situation particulières qu’on doit prendre en compte pour ouvrir des fronts de lutte. Le rapport de force global posé par le mouvement que nous vivons doit se répercuter dans tout ce qui fait de nous des prolos en galère. C’est le sens de nos propositions.
Un mouvement inutile ?
Avec le temps et le mépris gouvernemental, certains commencent à douter de l’utilité de continuer. Entre les sondages commandés par la bourgeoisie demandant l’arrêt du mouvement et les gros titres proclamant chaque semaine que « le mouvement s’essouffle », tout est fait pour nous mettre dans une perspective mentale de défaite. C’est une terrible erreur…
Si notre mouvement n’a rien arraché depuis décembre, il gagne en fait des choses invisibles tous les jours. Car Macron et sa clique avaient au programme un bon paquet de mesures contre nous et c’est bien notre mobilisation qui les empêche de mener à bien leur mission. Réforme de l’assurance chômage, réforme du système de soins, réforme des retraites, hausse du gaz et de l’électricité… Le gouvernement a peur de voir les colères se coaguler et repartir de plus belle. De même les patrons, qui pensaient avoir un boulevard après la loi Travail, font souvent les timides pour ne pas attirer la colère de la rue dans leur boîte. Continuer notre lutte c’est a minima maintenir notre rapport de force contre l’État et les bourgeois et envoyer un message au monde entier. Mais c’est aussi conserver tout ce que nous avons déjà créé sur le terrain.
Nos bases matérielles
Nous avons gagné bien plus que quelques fausses miettes lâchées par Macron. Nos acquis se trouvent sur le terrain et constitue les bases de notre autonomie pratique et politique.
Partout nous avons arraché des lieux : des ronds points, des salles squattées, des parking de réunions éphémères, des boulevards le samedi. Défendons ces lieux. Ils représentent notre base logistique. Et ce en dehors de tout compromis avec un syndicat ou un parti. Ils seront extrêmement importants pour la suite et nous devons les mettre à disposition du plus grand nombre.
Partout nous avons constitué des réseaux : des rencontres devenues amis et camarades, des listes Telegram ou Signal, des AG, des commissions, des groupes de rond-point, des points info, des trips commando. Toute une communauté de lutte.
Ces bases et ces réseaux nous renvoient à une réalité : désormais plus aucun Gilet Jaune n’est seul face à ses galères ! Un huissier qui nous prend la tête ? Une possibilité de lutte là où on taffe ? Pôle emploi qui essaie de nous radier ? Nous avons tous désormais la possibilité d’avoir un lieu d’organisation et un réseau sur lequel nous appuyer pour nous défendre, et à l’occasion, défendre tous ceux qui se retrouvent dans les mêmes galères que nous.
Une attaque contre l’un ou l’une d’entre nous est une attaque contre tous !
Ces acquis, cette force, ne nous cantonnons pas à l’utiliser pour nous, même si c’est un bon début. Elle doit être au service de tous les exploités. Gardons en tête l’élargissement constant du mouvement comme une priorité pour éviter toute sclérose et repli sur nous-mêmes. Parce que quand ça se tasse, on se crispe et on s’engueule !
Cela passe par se recenser, se connaître. Qui travaille où ? Qui a des galères avec pôle emploi, la caf, la sécu ? Qui est menacé de se faire expulser de son logement ? Savoir combien nous sommes de GJ à bosser dans tel secteur de taf, telle zone. Combien de collègues seraient prêts à suivre par sympathie du mouvement si une lutte se déclenchait ? En se posant ces questions, notre mouvement s’engagerait alors dans ce que redoute la classe dominante : une autodéfense généralisée des sans-dents qu’ils exècrent.
Même sans contact préalable, n’ayons peur de rien. Allons devant les boîtes rencontrer les travailleurs pour leur proposer notre aide, recueillir des informations précieuses sur le fonctionnement de l’économie autour de chez nous. Les Gilets Jaunes sont une force connue et reconnue, servons-nous en. La grève du 5 février fût un échec mais le couple grève et blocage a déjà montré son efficacité. C’est en tissant une toile de contacts sûrs, partout, que nous encercleront nos plus redoutables ennemis.
Cela veut dire aussi ne pas oublier ceux tombés dans les filets de la répression. Soutenons les prisonniers et leurs proches comme on aide les blessés dans les manifs. Notre mouvement tient par la solidarité effective qu’il déploie. Comme nous le disions dans le premier numéro : « On se bat pour tout le monde » et on compte pas s’arrêter là !
Pour que samedi s’étende à tous les jours, voici des propositions au mouvement :
Proposition 1. Organisons la solidarité du quotidien. Assemblée de solidarité ou comités Grève & Jonction GJ etc. Peu importe le nom. Effectuons un recensement des secteurs de lutte potentiels des GJ actifs dans le mouvement (travail, chômage, retraite etc.) et discutons de ce qu’on peut faire ensemble. Assurons une veille des conflits dans le coin où on est, établissons une cartographie des zones de conflit (avec les contacts et les informations précieuses pour notre intervention). Organisons des blocages en lien avec les grèves existantes. Rentrons en contact avec les salariés de la zone qu’on bloque. Assurons le soutien logistique des grévistes (blocage de la boîte assuré par des gens extérieurs, paniers de légumes ou caisse de grève à destination des grévistes).
Proposition 2. Constituons des Défenses Collectives. Face à la répression, organisons une présence aux comparutions immédiates. Assurons le soutien financier des détenus. Proposons des espaces de rencontre entre les proches de détenus. Faisons de la formation pour se défendre contre la répression. Refusons la dissociation entre « bons GJ » et « méchants casseurs ».
Proposition 3. Mettons nous en contact. Diffusons les pratiques qui marchent. Les plans qui fonctionnent. Partageons nos expériences. Aidons nous mutuellement, entre groupes GJ, de partout.
Discutons de la série de propositions au mouvement que nous faisons plus haut. Aidez nous à les diffuser, renvoyez nous des retours. Le premier numéro de JAUNE a circulé dans toute la France, et ailleurs. Quelques dizaines de milliers de personnes l’ont tenu entre leurs mains. Nous avons reçu des centaines de mails auxquels nous avons répondu. Mais ce n’est pas le mode de communication le plus adapté. Bien sûr, le mail que nous avons donné dés le premier numéro est toujours valable lisezjaune@riseup.net. Mais c’est bien insuffisant et trop centralisateur. Nous allons donc créer un canal Telegram de diffusion, qui ouvrira la possibilité de créer aussi des canaux de discussions par zone régionale. Afin de faciliter la diffusion, mais aussi les discussions et le partage d’infos avec nous et entre lecteurs du journal.