Nous sommes tous pour garder le panache des blocages de ronds-points des premiers jours. Sur ces blocages, on a découvert que beaucoup de gens vivaient la même chose que nous, les mêmes galères et mêmes certaines sur lesquelles on avait oublié de mettre des mots. On a aussi redécouvert nos villes et on s’est surpris à voir que nos allers-retours au boulot, nos discussions au magasin, nos échanges avec les collègues servaient maintenant d’informations pour une cartographie des points névralgiques à bloquer pour foutre la merde. Mais au bout de deux mois, nous sommes tous confrontés au même constat : on manque de gens, on manque de temps.
Et l’intervention systématique des flics nous épuise donc deux fois plus. Mêmes les blocages dits « stratégiques », ceux qu’on avait décidés dans un souci d’optimisation, on n’arrive pas à les tenir plus d’une journée.
Le travail n’est pas une parenthèse
On ne peut pourtant pas dire qu’on manque de détermination. Le problème, c’est que pour beaucoup d’entre nous, on a cramé nos arrêts maladies, nos congés payés, et qu’on doit retourner bosser. Le travail devient un obstacle dans notre engagement. On y va pour prendre le salaire et on repart illico presto sur les ronds-points pour voir les camarades. Pourtant, il y en a des gilets jaunes dans les boîtes pour lesquelles on travaille. Ça discute à la pause, ça se mate les vidéos des affrontements du samedi dernier, le temps d’en griller une. On s’attarde à commenter les exploits d’untel et puis c’est l’heure de retourner à notre poste. On met entre parenthèses nos envies de monde meilleur et on écoute le chef.
Comme si les problèmes s’arrêtaient à la porte de l’entreprise. Comme si ce n’était pas le patron qui nous payait une misère, qui rechignait à payer les heures sup, qui nous demandait de « faire des efforts » pour le bien de son entreprise, pour le bien de son ventre. Comme si tout ce qu’on dénonce d’injustice sociale, d’exploitation des humains et de la planète par les riches, on ne le voyait pas se fabriquer sous nos yeux, sous nos mains. Et pour ceux qui bossent dans la logistique, le patron fait peser sur les travailleurs les retards liés à nos blocages en leur demandant de travailler plus vite sans aucune contre-partie. C’est la même chose pour les organismes sociaux (CAF, Sécu, Pôle emploi) pour lesquels on cotise, qui nous menacent de sanctions financières au moindre écart pour faire des économies sur notre dos. Partout, on essaie d’attaquer nos conditions de vie. La grève, c’est donc le pas à franchir pour approfondir le mouvement et pour respirer. La grève libère. La question : comment on démarre ?
Jeune et gilet
Mi-décembre, les lycéens ont montré la voie. Et si le thème mis en avant était la réforme Parcoursup qui est une vraie saloperie, la réalité c’est que les lycéens qui sont passés à l’action le faisaient également pour se joindre aux gilets jaunes. Pour pouvoir le faire, ils ont décidé de bloquer leur établissement. Ce blocage, c’était un piquet de grève. Les lycéens faisaient grève et ils disaient : nous ne sommes pas lycéens aujourd’hui, nous sommes en lutte. Ils bloquaient leur établissement pour se libérer la journée, pour casser la répression administrative et policière, la pression des profs, la morale de certains parents. Et ils allaient retrouver ou débrayer les lycéens d’autres établissements pour placer le rapport de force à un niveau tel que tout établissement particulier qui se risquerait à réprimer ses élèves subirait la vengeance de milliers de lycéens.
Maintenant, remplacez dans le paragraphe ci-dessus »lycéen » par »travailleur » et »établissement » par »entreprise ».
La grève, ça se paie !
Sauf que la grève du travail, ce n’est pas tout à fait la même chose que la grève des études. Puisque les lycéens ne produisent pas, ils ne subissent pas la même pression que ceux qui taffent. Quand on démarre une grève dans une boîte privée, c’est très simple : il suffit d’être deux et de dire à tout moment « camarades, on débute une grève pour obtenir des augmentations de salaire. ». On sait qu’il y a beaucoup d’autres soucis à mettre sur la table, mais la revendication d’augmentation de salaire sera toujours considérée comme valable.
« Dans le secteur privé, un mouvement de grève peut être déclenché à tout moment. Les salariés qui veulent utiliser leur droit de grève n’ont pas à respecter de préavis. Une grève est licite même si elle n’a pas été précédée d’un avertissement ou d’une tentative de conciliation avec l’employeur. L’employeur doit cependant connaître les revendications professionnelles des salariés au moment du déclenchement de la grève. Les salariés ne sont pas tenus d’attendre le refus de leur employeur de satisfaire à leurs revendications pour entamer la grève. Le salarié gréviste n’est pas tenu d’informer son employeur de son intention d’exercer son droit de grève. »
Source : service-public.fr/particuliers/vosdroits/F117
Vous ne pouvez pas subir de pressions quant à l’exercice de ce droit de grève. Si vous n’êtes pas assez, profitez du temps de la grève pour aller sur les blocages ou dans les manifs, informez nous de votre mouvement pour qu’on puisse venir devant l’entreprise en solidarité. Vous pouvez décider de tenir un piquet devant votre boîte et même bloquer l’entreprise pour gripper la machine. Le patron vous dira que c’est illégal, qu’il va faire un référé etc. N’ayez pas peur, si vous êtes nombreux, le patron ne se risquera pas à des sanctions qui pourraient lui coûter son chiffre d’affaire. Quand on a réussi à lancer la grève, il ne faut pas s’arrêter. Il faut profiter de la grève pour aller chercher les gens qui bossent autour et les convaincre de la lancer à leur tour. Imaginez une grève sur toute une plateforme logistique, comment ça serait la classe. Y a pas besoin de bloquer les camions, personne n’est là pour les décharger !
La grève, ça coûte de l’argent, c’est vrai. Ce sont les réseaux de solidarité qui doivent permettre de tenir dans le rapport de force. La constitution d’une caisse de grève est primordiale, les bouffes collectives, les débrouilles en tout genre aussi. Et bien sûr, n’oubliez pas de demander au patron le paiement des jours de grève, c’est la base. La grève peut être payée mais pas un congé sans solde.
Pour ceux qui sont dans le public, ce n’est pas pareil, il faut un préavis de grève de cinq jours francs déposé par un syndicat. Heureusement, des préavis de grève sont déposés tous les jours par le syndicat Sud, donc vous êtes couverts. Renseignez vous tout de même sur la question du service minimum qui permet à l’employeur d’assigner des membres du personnel pour tenir le service.
Voilà, exit le syndicat qui veut tout contrôler, tchao le fantasme de la grande grève générale que tout le monde attend sans que personne ne fasse rien. Généralisons les grèves en renforcement du mouvement des gilets jaunes pour l’autodéfense en acte des prolos sur leur lieu de travail. Le mouvement est pour le moment suspendu à ces grèves. Si nous parvenons à franchir ce pas, assurez-vous que 1936 ou 1968, on verra ça comme un bal musette.