L’État est une bande d’hommes armés (Engels)
Alors qu’on nous annonce un fichage généralisé dans le cadre d’une énième loi anti-casseurs, tradition remontant au sinistre Raymond «la matraque» Marcellin en 1970, quelques réflexions sur la violence et sa représentation dans le mouvement des GJ.
«Foule haineuse», «complices de casseurs», «fainéants», « tueurs de flics », ont répété la plupart des médias jusqu’à satiété avec, pour illustrer leur propos, rien de mieux à offrir que des graffitis sur l’Arc de triomphe, un élégant boxeur repoussant cinq hommes suréquipés à mains nues, quatre motards pistolets en main essuyant un tir de sapin de noël, ou une bande de pieds nickelés défonçant une porte au transpalette.
En face, une dénonciation tout à fait naturelle de la brutalité des forces de l’ordre. Et, ce qui est assez nouveau, peu ou pas de dissociation entre «bons» GJ et «méchants» casseurs.
Remettons d’abord une pendule à l’heure. On a beaucoup glosé sur une violence inouïe, supérieure à celle de mai 68. Sans remonter à Charonne (9 morts) ou au 17 octobre 1961 (entre 150 et 200 morts) on rappelle que les manifestations de mai 68 ont fait 7 morts (dont un commissaire de police). Dans le mouvement GJ, une femme a été tuée par un tir de grenade à Marseille et nous en sommes à environ 200 mutilations recensées ce qui est, certes, énorme, obscène mais reste dans la logique de confrontation, d’écrasement, qui fait la réputation d’une police française obéissant aux ordres.
Mais quel que soit le degré de violence à laquelle nous sommes confrontés, la débauche de lacrymogènes, de balles en caoutchouc, de blindés, il y a une étape pas encore franchie dans l’escalade. L’image du sniper sur un toit de Paris, le 8 décembre, est là pour nous le faire savoir.
Car, entre tabassages au petit bonheur et peines de prison à la louche, il s’agit avant tout d’implanter une peur souveraine au sein d’une population qui commence à la perdre.
Côté Gilets Jaunes, mouvement dès l’origine parti sur une base joyeusement illégale (blocages, péages neutralisés, manifestations non déclarées) on constatera un usage divers de la force.
Une violence diffuse et spontanée s’exerçant sur des objets symboliques. En campagne, radars sabotés, péages incendiés, domiciles de politiciens repeints. Ce qui reste au niveau de n’importe quelle protestation agricole. En milieu urbain, des bris de vitrine en général ciblés sur les banques, assurances, agences immobilières ou symboles du luxe.
Malgré les délires officiels, on reste stupéfait par la rareté de l’usage d’armes basiques comme les cocktails Molotov, si communs dans les manifestations des années 70. Est-ce dû au dispositif policier de fouilles ? À une responsabilité extrême de manifestants refusant de s’abriter derrière une foule ? Au fait qu’on se contenterait d’une mise en scène, d’une représentation de la violence qui, malgré la spontanéité des premiers temps de l’émeute de décembre vire, petit à petit, à un rituel ?
Pour l’instant, l’inédit réside surtout dans le niveau de confrontation mené dans des villes moyennes, avec une absence d’opposition entre manifestants «pacifistes» et «radicalisés», dûe à l’absence de chefs du mouvement.
Il va falloir songer à s’extraire de rendez-vous qui risquent fort de virer à une routine dans laquelle nous serons perdants car épuisés et sous équipés.
En songeant, par exemple, à comment les métropoles régionales ne doivent pas vampiriser leurs alentours. Soyons aussi là où le pouvoir ne nous attend pas. C’est à dire partout.
En refusant toute distinction entre manifestants.
Et, quelles que soient les pratiques, en tuant cette peur, si naturelle, avec laquelle on prétend nous gouverner.