Récit du blocage du péage Toulouse Nord (Courrier de GJ)

Nous nous crûmes 800 mais nous nous vîmes que 300 arrivé.e.s au point de rendez-vous. La magie de FB de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Mais 300 déterminé.es, prêt.e.s à utiliser tous les moyens en notre possession pour y parvenir. La procession prend rapidement l’allure d’un parcours de commandos. En passant, tout le monde récupère un pneu, une palette, déposée quelques temps avant par les camarades et on parvient à tout balancer sur le tarmac. On attend que tout le monde arrive et on prend la direction du péage. Objectif : lever les barrières et bloquer les camions pour asphyxier économiquement la métropole. La gendarmerie nous attend déjà mais elle ne tentera rien, juste s’assurer que l’occupation se déroule sans dégradation. En voyant une cinquantaine de voitures bleues arriver tout gyrophare allumé on se dit qu’on est en train de se faire nasser tranquilou et que le projet ne va pas s’éterniser. En fin de compte, les flics observent de loin, attendant que ça se passe, appuyés sur les bagnoles. Même l’hélicoptère de la gendarmerie viendra cramer son kerozène pendant une demi-heure avant de faire demi-tour. Pendant ce temps, la joyeuse troupe s’étale sur les deux pistes d’arrivée en provenance de Bordeaux. Des camarades arrivent de l’autoroute pour amener du matos de récup à balancer sur la piste : vieux congélateur, un frigo, des pneus de tracteur. L’autoroute est vite bloquée, les premiers camions arrivent et sont invités à se garer.

Les grandes lignes étaient définies dès le départ, mais l’occupation sur le terrain demande une adaptation aux circonstances. Les pistes se font et se défont au fur et à mesure que les camions arrivent, bien rangés les uns à côté des autres. Une est laissée pour le passage des voitures, l’objectif étant de faire chier les grandes entreprises mais pas les particuliers ni les petit.e.s commerçant.e.s. De fait les petits véhicules profitent des barrières levées et de la gratuité de l’octroi pour entrer en ville. On essaie d’aménager un endroit sécure avec lanternes et plots de chantier pour permettre le passage mais il faut parfois guider les voitures qui zigzaguent un peu avant d’arriver ou qui ne voient pas spécialement le couloir. Il faut presque deux heures pour trouver le rythme de croisière. Dès lors tout le monde se détend un peu. Toutes les voitures de gendarmerie se sont barrées sans crier gare, seule une est restée en sécurité au-dessous du pont pour avertir les automobilistes qui arrivent de Bordeaux.

Il est déjà minuit. A peine une trentaine de camions sont immobilisés que déjà les rumeurs courent. Les CRS de Montauban seraient en route pour débloquer le péage et on repère les sorties pour décamper dès qu’ils pointeront le bout de leur bouclier. 30 mn, 1h, 1h30, toujours rien. On se détend de plus en plus même si l’on se dit que les flics bloquent certainement la sortie du trajet qu’on a emprunté pour arriver et qu’il nous cueilleront comme des faisans quand on partira. Certain.e.s retardataires disent avoir été renseigné.e.s par ce qui avait l’air d’être des voltigeurs, mais personne n’aura pu vérifier. De temps en temps, un camion de police passe sur le pont traversant l’autoroute.

Pour atténuer cette attente propice à toutes les paranoias, on se réchauffe aux braseros, on discute, on déconne. On va voir certains routiers pour leur offrir le café, on en calme certains un peu vénères, on tape la discut avec des automobilistes qui soutiennent, d’autres qui font semblant. La première voie a des allures du Bronx dans les années 80 sauf que les baffles mp3 ont remplacé les ghetto blasters. Un fond de hip hop déploie ses notes dans le ciel humide, pendant que certain.e.s tapent un foot. Un blocage c’est pas mal d’attente, parfois dans le froid, on peut s’y emmerder mais on tient parce qu’au bout il y a l’objectif à atteindre et personne ne pourra nous reprocher de n’avoir rien fait.

Minuit. Le message de blocage a dû être transmis au PC autoroute qui doit avoir dévié les véhicules vers la dernière sortie avant le péage. Les camions se font rares alors que de l’autre côté en partance pour Bordeaux, les départs sont fréquents. Il est alors décidé de faire un autre point de blocage pour les camions en provenance de Toulouse, qui entrent sur l’autoroute. Une partie du matos est transféré de l’autre côté car on n’a plus besoin de grand-chose. De notre côté ça roule tout seul et chacun sait ce qu’il a à faire sans s’être concerté. On conserve les plots et une partie des palettes pour pas donner l’impression aux camions que le barrage va être levé. En cinq minutes, le trafic est arrêté sur l’autre voie. Plus étroit que de notre côté, l’accès est vite obstrué et en peu de temps, plus de 80 camions viendront se casser le nez au péage, sauf un qui parviendra à le forcer. Dès lors, on peut voir venir. Entre temps, les issues de secours ont changé, ceux/celles qui flippaient avant, flippent toujours et la fatigue commence à se faire sentir alors que la relève n’arrive toujours pas. Certain.e.s déjà ont renoncé et sont parti.e.s se coucher après plus de 5h de permanence. De tous les côtés on tue le temps comme on peut. Un conducteur plus bavard s’arrête pour nous féliciter, un autre est presque furieux parce qu’on n’a encore rien cassé. On rencontre de tout, mais pas trop de mauvaises ondes dans le tas. La pluie s’est invité, un crachin tout fin qui nous cisaille les os mais qui n’entame pas trop la détermination car le brasero tourne à plein. A force de s’approcher, l’un d’entre nous y laissera son sac. Après quelques heures de barrage, certains mastodontes s’impatientent, barrissent en troupeau pour finalement s’arrêter, vaincus par notre inflexibilité. Une équipe en profite pour partir un peu plus loin sur la nationale à Saint-Jory pour tenter un nouveau point de blocage et dévier les camions vers l’autoroute. On sait pas si l’opération a réussi mais sur place on est obligé d’avancer les obstacles pour gagner un peu plus d’espace. Les premiers rangs de camions jouent le jeu en avançant tranquillement jusqu’aux palettes.

Il est tard dans la nuit. La pluie s’est arrêtée. A force de garder les yeux sur l’horizon, on en oublie ce qui se passe à côté. Les bloqueurs/euses sont de plus en plus clairsemé.e.s dans notre zone. Sur la première voie, au niveau des lampadaires l’ambiance est toujours au beau fixe. Musique et ballon font passer le temps. Des échos nous parviennent de Muret où une équipe a organisé le blocage du péage. Ici, la relève tarde toujours à arriver. Si on garde le péage jusqu’à 8.00 du matin ça sera déjà pas mal.

Toulouse, Péage de Sesquières. 13/01/2019