Qui sont les nôtres ?

Depuis le début de ce mouvement, deux symboles se font une certaine concurrence sur les ronds-points. Le gilet jaune et le drapeau bleu blanc rouge. Bien sûr, beaucoup ne le diraient pas comme ça. Ils diraient que le drapeau est le symbole du peuple français, là où le gilet jaune est celui de la lutte et donc que les deux sont complémentaires. Et c’est vrai que dans les deux cas, il s’agit pour ceux qui les arborent de signes de ralliement autour de quelque chose de commun. Mais il y a plusieurs sortes de communautés.

L’idée d’une communauté fondée sur l’appartenance à un territoire, définie par un Etat et la défense des frontières de cet Etat, est déjà vieille. On la retrouve dans les mythes fondateurs de l’Empire romain.
Dans ces légendes, la ville est fondée par deux frères jumeaux, Romulus et Rémus. Romulus aurait utilisé le soc d’une charrue pour délimiter les remparts de la future cité. Rémus, par défi, franchit ces remparts imaginaires. Il est aussitôt assassiné par son frère, qui déclare « Ainsi seront traités tous ceux qui franchiront mes remparts ».
Le message est clair. La communauté qui est proposée n’est pas ouverte à tout le monde. Elle est au contraire basée sur la stricte défense des frontières et tant pis si celui qui veut les franchir est ton frère. Certains diront que c’est une dure réalité. Ils mettront en avant que chaque pays a son lot de misère et que finalement, défendre en premier lieu sa tribu, son territoire, ses compatriotes, est une fatalité humaine. Ils ont pour slogan les nôtres avant les autres.

Mais qui sont les nôtres ? As-tu vraiment plus d’intérêts communs, d’aspirations communes, de souffrances communes, avec les riches de France, qu’avec celui qui travaille avec toi sur le chantier, mais qui n’a pas les mêmes papiers ? Avec la famille Loréal, qu’avec un livreur chez un sous-traitant d’Amazon italien ou algérien ? Avec un autre Smicard, peu importe ses papiers, ou avec quelqu’un qui (ne) paie (plus) l’ISF ?
Le nationalisme, lui, dira que oui. Il dira que les Français, peu importe leur position sociale, ont plus d’intérêt commun ensemble que toute autre forme de solidarité, basée par exemple sur une situation commune . Mais qui cela sert-il ? Qui gagne à dire cela ? Qui est bénéficiaire du nationalisme ? Tout le monde connaît le proverbe diviser pour mieux régner. Il implique bien sûr que ce sont ceux qui règnent qui divisent les autres. Alors, reposons la question : qui règne ? Qui possède les richesses, et les moyens de produire plus de richesses ? Les riches, les bourgeois. Et qui est divisé selon ses papiers, par les nationalismes ? Les pauvres, les travailleurs, chômeurs, ouvriers.
D’ailleurs, croyez-vous vraiment que la bourgeoisie pratique pour elle ce qu’elle nous demande à nous ? Croyez-vous vraiment que les riches français se sentent plus proches de vous que de leurs amis de tel ou tel pays, avec qui ils font du ski en Suisse ou à Dubai pendant que vous travaillez ? Ne soyons pas naïfs.
De nos jours, tout circule librement. Les marchandises. Les capitaux. Les riches. Tout, sauf ceux qui n’ont rien. Il existe même de nombreux pays, comme la Chine par exemple, où les ouvriers sont obligés d’avoir des passeports intérieurs et ne sont pas libres de se déplacer entre les différentes régions du pays. Alors, bien sûr, les gens bougent quand même. Il le faut bien, ils suivent le travail. En Chine, ils sont appelés les mingongs. Ici, c’est la même chose avec les ouvriers sans papiers. Comme ils sont illégaux, il leur est plus difficile de lutter pour leurs droits. De plus, ils font souvent les frais de préjugés racistes, qui d’ailleurs sont eux aussi très communs dans le monde entier : en Chine aussi, il y a du racisme contre les mingongs. Tout cela divise, ici comme là-bas, au sein des entreprises, partout, les salariés : c’est un excellent moyen de nous affaiblir. Voici pourquoi nous ne sommes pas nationalistes.

Mais il existe une autre communauté : celle de la lutte. Ainsi, en France, depuis bien longtemps, une tradition révolutionnaire accueille tous ceux qui veulent lutter. Déjà, durant la Révolution Française, de nombreuses personnes originaires des quatre coins du monde sont venues prêter main-forte. Durant la Commune de Paris aussi (un soulèvement révolutionnaire des ouvriers et artisans parisiens), l’organisation des barricades a été en partie organisée par des révolutionnaires polonais.
Et on retrouve cette solidarité de la lutte et de la révolution dans bien d’autres époques et endroits du globe. C’est cela, la communauté qui nous rassemble. Aujourd’hui, elle a un cri de ralliement : le gilet jaune. Ce cri est universel et en cela, il est finalement plus proche de l’esprit des révolutions passées, y compris Française. Alors nous le disons haut et fort : nous sommes du côté du gilet jaune, de ce qu’il signifie de lutte commune, mais aussi de refus partagé de nos galères. De petits matins bleus à bloquer ensemble, comme de soirées où crépite un feu de palettes, à parler de nos conditions d’existences pourries.
Gilets jaunes de tous les pays, unissons-nous.